Léonard, Henri, Charles, René, né à Mons, le 10 mai 1896, y
est décédé le 12 avril 1959. C'était un esprit très cultivé, un être
extrêmement sensible, modeste, délicat, profondément artiste, d'une loyauté et
d'une probité à toute épreuve.
Pour
comprendre le comportement d'Henri Léonard pendant tout le cours de son
existence, il faut connaître les ascendances qui agirent sur lui, aidèrent à
forger son caractère, jetèrent les bases de sa formation intellectuelle et
morale. Du côté maternel, on voit son grand-père, né peu avant la révolution de
1848, peiner dur (il était ouvrier tailleur) pour élever sa famille. C'est lui
qui apprit à son petit-fils comment certains patrons exploitaient le travail
et le courage de leurs serviteurs. Cet aïeul, qui avait un goût prononcé pour
la musique, lui inculqua des principes éducatifs bien supérieurs à la moyenne
de milieux aussi humbles. L'une de ses filles, Florentine-Joséphine Bazin (Mons 31
janvier 1870 - 15 avril 1951) la mère d'Henri Léonard,
avait été en sa jeunesse « demoiselle de téléphone ».
Le
grand-père paternel, né vers 1847, était un homme d'une intelligence
remarquable ; issu d'une famille nombreuse, pauvre, c'était un autodidacte
acharné à comprendre et à savoir. Esprit constructif, autoritaire, altruiste,
épris de liberté, il devint un haut fonctionnaire, très écouté, à l'Administration
des Télégraphes. Fait assez rare à l'époque parmi les « gens en place »,
c'était un athée prônant le développement de l'individu par l'instruction et
par une éducation favorable à l'épanouissement des forces spirituelles et
sensibles et, aussi, par la conscience des responsabilités.
L'une de ses filles, que, plus tard, Henri Léonard appelait
« ma tante l'éducatrice », était professeur dans une institution montoise pour
jeunes filles « de la haute société », comme on disait alors. Douée d'une intelligence
supérieure mais – revers de la médaille – affligée d'un état nerveux fort
délicat, elle fit un assez long séjour en Angleterre, dans un château du Pays
de Galles, en qualité de dame de compagnie. C'était une excellente psychologue.
« Je lui dois la plus belle leçon de modestie que j'aie jamais reçue », – nous
confia, un jour, Henri Léonard – « elle m'apprit ce qu'est la vanité de la vanité. Je
l'entends encore. J'avais alors 17 ans ! ». Nature très artiste, elle initia
son neveu, à l'époque où la radio n'existait pas, à la musique des grands
auteurs classiques et romantiques, qu'elle interprétait au piano. Elle lui
donna ses premières leçons de dessin d'observation, alors qu'il avait dix ans.
Le frère de cette tante exceptionnelle, René-François Léonard (Schaerbeek, 20 avril 1867 - Mons, 15 avril 1917) le père d'Henri, était le « savant » de la famille. Quand Henri
était enfant, il aimait à répéter : « Papa sait tout », car celui-ci ne
laissait jamais une de ses questions sans réponse plausible. Cet homme de haut
savoir possédait une extraordinaire concentration d'esprit. Il fit ses études
primaires à domicile ; à l'âge de quatre ans, il sa-savait lire correctement ;
à huit ans, il entrait à l'« École Modèle ». Admis en 3e
scientifique à l'Athénée de Bruxelles, il en sortait brillamment, à peine âgé
de 16 ans. Il fit, alors, en qualité de mousse, un voyage jusqu'à New York, sur
le « Belgenland ».
À vingt ans, il obtenait, à l'Université Libre de
Bruxelles, le, diplôme d'ingénieur des Arts et Manufactures (chimie). Comme il
devait gagner sa vie, il se résigna, à défaut d'emploi plus conforme à ses
aspirations, à devenir fonctionnaire et il débuta comme commis direct, à
l'Administration des Télégraphes. Il se tenait constamment au courant des
progrès et découvertes en biologie, en chimie et en physique ; il utilisait ses
loisirs à satisfaire sa passion de collectionneur : timbres-poste, herbiers
échantillons minéralogiques ; à assister à des concerts, des représentations
théâtrales, des conférences aux « Amis de la Littérature », et à visiter des
musées.
Il
connaissait la Belgique jusqu'en ses moindres recoins et fit de nombreux
voyages en Hollande, Suisse, Angleterre, Italie, Allemagne, France.
Fonctionnaire très strict sur la discipline du
service, très bien noté, il devenait en 1894, à 27 ans, ingénieur-chef du
réseau téléphonique de Mons. Il aurait pu prétendre à une plus brillante
situation encore mais il mourut, en 1917, alors qu'il avait à peine cinquante
ans...
Le
sentiment artistique était fort développé dans le milieu où vivait Henri Léonard.
Ce domaine de l'art, fut pour lui celui de la liberté, l'évasion nécessaire
hors du matérialisme et des contingences de la vie. Très jeune, comme ses
éducateurs voulaient guider son choix vers des œuvres qu'ils croyaient être
l'harmonieux développement des formes idéalement appréciées, « classiquement
belles », il en résulta, chez lui, une sorte de rébellion. Plus tard, il put
constater que ses éducateurs appréciaient, aussi, les ouvrages, les expressions
plus dionysiaques... Ce sentiment de révolte le porta à examiner certaines
formes beaucoup plus libres et plus intenses dans leur expression.
« Je fis
simplement des études, dites professionnelles, à l'Athénée de Mons, a-t-il
écrit un jour. » « Je fus un élève moyen, ayant la plus grande peine à me
concentrer sur une matière qui, à l'occasion, ne me plaisait pas du tout.
Excellent en dessin et en gymnastique, assez bon en français, en histoire et
en géographie, quelconque dans les langues germaniques, très médiocre en physique
et un cancre parfait en mathématiques ».
Ses
parents le destinèrent à la carrière administrative parce que la sécurité y
était assurée, surtout dans l'avenir... C'est ainsi que le 2 août 1914, à l'âge
de 18 ans, il entrait en qualité d'expéditionnaire temporaire à
l'Administration Communale de Mons, à laquelle il devait consacrer quarante
années de son existence. Dès qu'il fut pourvu d'un emploi, il put suivre son
aspiration secrète et, pendant trois ans, il fréquenta assidûment, le soir, les
cours de dessin à l'Académie des Beaux-Arts et, le dimanche, les cours
d'aquarelle professés par Antoine Carte.
Il ne fallut pas longtemps au
jeune étudiant pour se convaincre que, malgré sa docilité et son souci de bien
faire, la copie fidèle des modèles en plâtre ou même des modèles vivants ne
l'intéressait pas du tout.
Depuis son
jeune âge, il dessinait comme dessinent les enfants, c'est-à-dire
d'inspiration, avec le désir de « recréer » les êtres et les choses tels qu'ils
les voient, les connaissent personnellement, tels qu'ils les «sentent». Et tant
pis pour l'imperfection!... Certes, l'examen attentif d'œuvres d'artistes de
toutes les époques et de toutes les tendances apportait parfois un changement,
une amélioration à son mode d'expression. Son excellent ami Antoine Carte ne
put l'entraîner dans son sillage. Au contraire, en 1918 il l'engageait à ne
point poursuivre des études académiques qui risquaient de contrarier, de
détruire l'originalité que l'on devinait dans ses compositions. C'est, disait
plus tard Léonard, le meilleur conseil qu'il reçut de son maître. Et,
dès lors, il se mit à étudier seul, avec méthode et en toute liberté,
l'histoire des beaux-arts, ne s'attardant guère aux biographies mais se préoccupant
avant tout de saisir les tendances, les diverses évolutions du caractère
sensible des œuvres. C'est ainsi qu'il apprit beaucoup plus en lisant Élie
Faure qu'André Michel.
« Je me suis toujours méfié, chez les artistes, de ce
qu'ils avaient pris chez les autres », disait-il un an avant sa mort ; « j'ai
toujours pensé qu'il était préférable de passer, par-ci, par-là, sur des
incorrections, pourvu qu'une réelle émotion parle dans
l'œuvre. Comme quoi, les « classiques », avec leur perfection, ne me touchent
pas facilement. Je préfère ceux qui poussent des cris, mais au moins des cris
qui bouleversent. La visite des musées de La Haye,
d'Amsterdam, de Bruxelles et de Paris ne m'a nullement fait changer d'avis. Ils
possèdent, certes, des œuvres qui sont très belles, mais qui ne me touchent pas
toujours, et d'autres, moins belles, et qui m'atteignent. Ce phénomène existe
encore pour moi dans la musique. Il y a des œuvres qui me font avoir le grand
frisson et des larmes plein les yeux. J'ignore si ce sont les plus belles ; ce
que je sais, c'est que je les aime. Ce sont des œuvres vivantes ».
Henri Léonard était
un esprit curieux, original, primesautier et chercheur. Il ne voulait pas
rester dans les sentiers battus et fuyait les formes stagnantes de l'art : «
J'ai un moment versé dans un art plus ou moins surréaliste... parce que non
réaliste », confiait-il à un ami, dans une lettre écrite en mars 1958. « Le
réalisme étant ce que nous voyons à chaque instant autour de nous, je ne vois
pas pourquoi il faudrait le rencontrer dans l'art, liberté, évasion. Sentiment
de l'incontrôlé, de l'instabilité, du bizarre, de l'équivoque... voilà qui est
loin de la rigueur de la froide raison, c'est pourquoi il me plaît de le
ressentir... comme à certains moments de ma vie je me prends à éprouver de ces
terreurs qui viennent de très loin dans mon subconscient, ou tout simplement
par de singulières associations d'images, comme il en apparaît souvent dans mes
rêves. Et ce goût remonte à ma jeunesse, quand je lisais et relisais Edgar Poe.
» Il y avait là une occasion de se rebeller, de « sentir » un écrivain qui
voulait bien considérer autre chose que l'harmonieux arrangement des idées. Et
c'était son père, cet esprit positif, qui lui avait donné à lire les «
Histoires extraordinaires ». Il ne trouvait pas que son fils avait tort d'aimer
tout particulièrement cet écrivain américain, à l'imagination extravagante et
tourmentée, hantée par «l'ange du bizarre »... Il savait bien que tout se
limiterait à des images fantastiques, à des visions étranges et que, dans la
vie courante, son grand garçon ne descendrait pas dans le « Maelstrom » ou
n'irait pas à la recherche du « Diable dans le Beffroi »...
Bien sûr,
les lectures d'Henri Léonard ne se limitaient pas à Edgar Allan Poe, Achim von
Arnim, Ernst Hoffmann... Il lisait aussi tous les classiques et les romantiques
français. Comme tous les jeunes gens de son âge, il fut profondément remué,
quand il avait 17
ans, par le romantisme passionné et mélancolique d'Alfred de Musset. Puis, il
s'intéressa à disséquer Le Rouge et le Noir et à analyser les caractères
des héros de Stendhal. Il lut ensuite la plupart des œuvres d'Alphonse Daudet,
de Prosper Mérimée, de Gustave Flaubert, d'Anatole France. Plus tard, ce furent
Francis Carco, Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Pierre Mac-Orlan, Alexandre
Arnoux...
Dans sa prime jeunesse, il s'était enthousiasmé à la
lecture d'Erckmann-Chatrian et surtout de Charles Dickens. Ce dernier l'avait
tellement passionné que, en son âge mûr et même peu avant sa mort, il relisait
avec joie Les Aventures de M. Pickwick, Oliver Twist, David
Copperfield surtout Dombay et fils et bien d'autres pages de cet auteur
vraiment humain. Quantité d'autres écrivains étrangers eurent aussi la faveur
de son choix : Tolstoï, Tourgueniev, Dostoïewsky, Ibsen, Jean-Paul Richter,
Theodor Storm, Wells, Rudyard Kipling, Thomas Hardy, Oscar Wilde, Thomas Moore,
Aldous Huxley, Somerset Maugham, etc. etc.
Pourrait-on, dans toutes ces
énumérations, découvrir celui ou ceux qui eurent une influence déterminante sur
la tournure d'esprit, sur le talent à facettes multiples d'Henri Léonard ? Ce
serait bien difficile... Un jour qu'on l'interrogeait sur sa vie, il répondit
tout simplement : « En vérité, « je
me suis bien amusé » à lire, à
peindre, à écouter de la musique, à fréquenter le théâtre, à peindre des
décors, à écrire des jeux radiophoniques et même, comme je le fais aujourd'hui,
à étudier l'histoire et particulièrement l'histoire du XVIe
siècle, à Mons. Je ne suis qu'un touche
à tout... pour mon plaisir. » Ce
parfait dilettante était bien modeste !...
Il y a peu d'années, il avait rédigé une étude
complète sur Vincent Van Gogh ; nous souhaitons qu'elle soit bientôt publiée.
Il aimait beaucoup l'œuvre de ce peintre mais pas exclusivement. Il prisait cet
artiste parce que l'on suit dans toute sa carrière la voie la plus propice pour
franchir le passage de la forme objective à la forme subjective, de la
représentation du réel universel à la réalité sensible d'un être de génie qui,
par la peinture, a exprimé le contenu de sa vie intérieure. « Celui-là était un
artiste sincère, disait-il, un vrai de vrai. Je vous avouerai qu'ayant été à Bréda voir l'exposition des œuvres qui sont
maintenant à Mons, les deux dernières de ses toiles m'ont ému comme jamais
peinture ne m'a ému ». « Pourtant, ajoutait-il, si je pouvais emporter une
peinture dans une île déserte où je devrais vivre, ce n'est pas chez Van Gogh
que j'irais la choisir. Je prendrais avec moi La pie sur le gibet de P.
Brueghel, parce que c'est une œuvre qui réalise pour moi la plus profonde
effusion d'un artiste vis-à-vis de la nature et du genre humain et qu'il nous
la fait sentir par le prestige de son unité d'expression, expression poétique
d'un admirable paysage tenu dans la richesse de sa coloration de rêve,
expression de la vie, instant de l'humanité inconsciente des dangers qui la
menacent, ricanement de la pie qui jacasse, et, dans tout cela, la présence
d'un esprit (celui de Brueghel) qui possède le meilleur humour du monde, celui
qui s'apitoie sur ses semblables, parce qu'il est essentiellement bon, et le
plus sensible poète des paysages de ses rêves ».
Cette
juste appréciation sur Brueghel, on peut, sans hésiter l'appliquer à Henri Léonard,
peintre d'un humour tout à fait particulier, se penchant sur la pitoyable
misère humaine, transposant ses rêves dans ses compositions ; sa discrétion –
sa pudeur, dirons-nous – l'empêchait de communiquer complètement le feu
intérieur qui le consumait et de montrer l'émotion qui l'étreignait au contact
du malheur des autres. Souvent, en l'observant, on pouvait le comparer au Figaro de
Beaumarchais «... aidant au bon
temps, supportant le mauvais, me moquant des sots, bravant les méchants,... je
me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer ».
Il avait puisé chez son aïeul paternel, puis chez son
père, les éléments d'une philosophie qu'il pratiqua toute sa vie : « Pas de
croyance en ce qui ne peut être scientifiquement prouvé. Convaincre, vouloir
convaincre, n'est pas nécessairement démontrer et prouver. Il appartient à la
science de faire ces démonstrations et ces preuves, d'établir des lois qui
pourront toujours être prouvées, être complétées, rendues de plus en plus
exactes par des expériences contrôlables ». Mais cet agnostique ne cherchait
point à faire de prosélytisme et il était très respectueux des croyances
d'autrui.
Quoique
n'étant pas fait pour la carrière administrative qu'il n'avait pas choisie mais
dans laquelle ses parents l'avaient lancé, Henri Léonard fut
« un fonctionnaire d'élite parmi les élites », ainsi que le déclarait son
bourgmestre, M. V. Maistriau.
Nous avons
dit que, peu après sa sortie de l'Athénée, il entrait, le 2 août 1914, à
l'Administration Communale de Mons. Il gravit successivement tous les échelons
de la hiérarchie et, le 1er
janvier 1946, il fut désigné pour
remplir les fonctions intérimaires de secrétaire communal, charge à laquelle
il accéda définitivement, le 1er
janvier 1949. Malheureusement,
son état de santé le força à prendre une retraite prématurée. Bien à regret, le
Conseil Communal accepta sa démission le 29 décembre 1954 et, en reconnaissance
des éminents services qu'il avait rendus à la Cité, lui conféra l'éméritat.
Deux jours
plus tard, le 31 décembre, l'Administration Communale organisait, en l'honneur
de celui qui s'était tant dépensé pour la chose publique, une manifestation de
sympathie dans la salle du Conseil Communal. Outre des délégations de tous les
services communaux, les membres du Collège et du Conseil assistaient à cette
cérémonie d'hommage et de gratitude. Monsieur le Ministre d'État Victor Maistriau,
qui, pendant son mayorat d'un quart de siècle, avait pu apprécier les rares
qualités de son collaborateur et ami, avait tenu à assister à cette réunion, au
cours de laquelle la médaille de la Ville fut remise à Henri Léonard.
En répondant aux discours qui lui furent adressés, celui-ci révéla qu'il ne
quittait pas ses fonctions officielles avec trop de mélancolie car, enfin, il
allait pouvoir se consacrer entièrement à ses chers violons d'Ingres, à la vie
d'artiste et de chercheur qu'il avait toujours rêvée.
Son
activité fut prodigieuse et très diverse. On ne redira jamais assez ce que la
Ville de Mons doit à ce « Grand Commis » qui avait une conception très nette de
sa tâche à l'hôtel de ville, à l'Académie Royale des Beaux-Arts, dont il était
le secrétaire, et qui, en plus, accomplit une œuvre qui n'est pas près de
s'éteindre, de s'effacer.
Son
affiche de la Ducasse, qu'il composa, on le « sent », avec une joie réelle, est
un véritable petit chef-d'œuvre. En vue plongeante, on voit s'ébattre, sur la
Grand-Place, autour de Saint Georges, tous les
personnages traditionnels du Lumeçon, dans une atmosphère toute de verve et de
truculence rabelaisiennes. Cette affiche ne fut pas la seule : il en composa
encore une pour la « Ducasse de Messines » et une autre ayant pour thème la
fameuse descente de la rue des Clercs, le dimanche de la Trinité. Si l'on cherche,
dans la physionomie morale d'Henri Léonard, le trait essentiel, c'est l'amour profond de sa cité
natale qui le caractérise. Après Antoine Clesse, il aurait pu dire :
Mons est toujours pour mon âme et mon cœur.
La plus
belle ville du monde.
Ami,
collaborateur et disciple d'Émile Hublard (Mons, 5 avril 1863 - 12 juillet
1927), le savant conservateur de la
Bibliothèque Publique, et de Paul Heupgen (Hyon, 7 mars 1868 - Mons, 15
octobre
1949) l'auteur
érudit des Viéseries, il s'était fait, pour « sa Ville », écrivain,
historien, archéologue, critique d'art, dessinateur, peintre, publiciste,
animateur du théâtre, pour lequel il peignit maints décors. Il s'était
spécialisé dans les ouvrages destinés aux ondes sonores et ses jeux
radiophoniques faisaient revivre le passé de la vieille capitale du Hainaut et
les mœurs et coutumes de ses habitants d'autrefois. Que de pages, que de
dessins, ce pur Montois n'a-t-il pas consacrés à sa cité !
En 1930,
il publiait un charmant petit livre, Les Braves Montois de 1830 que, dans
sa préface, Émile Hublard accueillait ainsi :
« Voici un
petit livre présentant cette originalité d'être du même auteur pour le texte et
les illustrations. En le parcourant, on se demande si c'est l'artiste qui a
guidé la plume ou l'écrivain qui a tenu le crayon. Le talent de M. Henri
Léonard, à la fois lettré et dessinateur, nous rappelle celui de Topffer dont
la plume servait à deux fins : à écrire des récits alertes et amusants, et à
dessiner en marge, des croquis spirituels reproduisant les traits de ses héros.
Sous une forme badine, l'auteur nous conte l'histoire de la Révolution de 1830,
à Mons, telle que l'ont vue les petites gens, boutiquiers et artisans. N'allez
pas croire cependant que la vérité historique soit sacrifiée à la fantaisie ;
elle forme le cadre dans lequel se déroule un roman, simple et naïf, montrant
le valeureux Jean Pichon, tailleur d'habits, et la tendre Agathe Pigeolet, la
fille du boucher, filant le parfait amour, à la faveur des
troubles révolutionnaires, « sous l'arbre de la Liberté ». Et bien, croyez-moi
si vous voulez, le tableau que trace M. Léonard représente peut-être plus
fidèlement qu'une docte étude historique, ce que fut 1830 en notre bonne ville
de Mons ».
Son œuvre
capitale, dont il put corriger les épreuves peu avant sa mort, est, sans
conteste : La Ville de Mons en 1550. Essai de reconstitution, en vue
perspective, et textes à l'appui (dans Annales
du Cercle Archéologique de Mons, tome
63, pp. 137-192. Avec 24 planches et une grille permettant la lecture des
cartons imprimés). Travail d'érudition, labeur de
bénédictin, tant au point de vue des recherches nécessitées pour la rédaction
des textes que pour l'établissement minutieux des 24 planches, c'est
véritablement une tranche vivante de l'histoire et une extraordinaire
reconstitution topographique de Mons au milieu du XVIe siècle.
Un autre
important ouvrage a pour titre : Les Chemins de l'honnête conscience. -
Jacques Dubrœucq, sculpteur des vertus. Pendant de longs mois, il fut
publié dans les colonnes du journal « La Province », à Mons. Il ne paraîtra pas
en librairie ; c'est à déplorer. Dans un s avertissement » daté du 1er novembre
1951, Henri Léonard s'est défendu d'avoir écrit une biographie. « Tout au
contraire, je me suis efforcé de me placer dans la peau d'un personnage vivant
à Mons, pendant la majeure partie du XVIe siècle et avec plus ou
moins de vraisemblance, je lui ai fait raconter, non pas ce qu'est son histoire
exacte, car on l'ignore dans trop de circonstances, mais comment il aurait pu
observer, noter et rapporter les événements dont il a pu avoir connaissance. »
À la
réalité historique, il a donc voulu ajouter la fiction d'épisodes romancés. «
Pourquoi ? Dans quel but ? Certes, pour rendre moins sec le récit purement
historique, mais surtout pour me divertir moi-même et essayer d'entraîner le
lecteur dans ce jeu où la fantaisie est souveraine. Je crois d'ailleurs que
très souvent les rêves sont plus vrais que les réalités ; les réflexions
gratuites ont aussi la chance d'être parfois plus justes que les méditations
trop raisonnées car elles sont tout de même des reflets de sensations qui ont
frappé la conscience. Quand on aime les images on aime s'évader dans leur monde
irréel... Une fois de plus, j'ai voulu choisir entre l'absolue réalité et la
fiction... et j'ai choisi la liberté. »
Henri Léonard a
illustré des ouvrages de divers auteurs. Ses compositions originales mettent le
texte en valeur, témoignent d'un art fait de simplicité, d'imagination,
d'ingéniosité, d'une sensibilité qui perçoit l'âme des choses sous les
apparences, d'une poésie qui attire et captive. Sa connaissance étendue et
précise de l'Art donnait beaucoup de prix aux chroniques qu'il publiait dans le
journal La Province et c'est par centaines que l'on peut compter les
critiques des salons d'art qu'il donna à ce quotidien, sous le pseudonyme de
Cinabre. « Sulfure » était, d'autre part, la signature des articles qu'il
écrivait sur le Vieux Mons.
Lui-même
organisa plusieurs expositions de ses œuvres picturales. À côté de planches où
se donnaient libre cours sa fine ironie, son esprit facétieux, sa curieuse
conception de la vie, se voyaient des dessins, des aquarelles, des gouaches,
des peintures où le poète, s'exprimant en images plastiques, « faisait penser
», suggérait « un je ne sais quoi » dépassant la matière. À son exposition de
1933, j'eus la joie d'acquérir une grande gouache, La Maison Usher,
inspirée du récit d'Edgar Poe. Très souvent, je contemple cette triste et
solitaire habitation, ses murs aux teintes délavées, ses fenêtres qui
ressemblent à de grands yeux mélancoliques. Je regarde, non sans effroi, la
lézarde qui, en zigzag, traverse la façade de la tour ; je vois la brèche qui
s'élargit puis, il me semble entendre un grand bruit... et les ruines de la
Maison Usher sombrent dans les eaux glauques et profondes de l'étang...
Oui,
l'œuvre graphique et picturale d'Henri Léonard
« fait penser ». Ses fouilles
ardues et patientes dans les archives communales lui fournirent la matière de
milliers de fiches dont il tira parti pour des conférences (parmi
ses principales conférences, citons : Du
snobisme, du jazz et de la nouvelle subjectivité. L'Impressionisme. L'Art
gothique. Initiation au septième art. Promenade à travers le vieux Mons, cette conférence fit naître en lui l'idée du plan de
Mons vers 1550), des jeux
radiophoniques, des articles, des dessins, des livres. Quantité d'organismes
connurent les effets de sa générosité, bénéficièrent de ses recherches, de son talent, de
son travail. La « Maison Jean Lescarts », le Cercle Archéologique de Mons sont
fiers des estampes qu'il leur dédia et beaucoup d'œuvres philanthropiques
n'eurent jamais recours en vain à son parfait désintéressement.
Le nom
d'Henri Léonard, imagier et chroniqueur montois, s'inscrit tout
naturellement parmi ceux des bienfaiteurs de la Cité, et à côté des noms de
ceux qui, par leur génie ou leur talent, ont honoré la capitale du vieux Pays
du Hainaut.
Quelques
œuvres d'Henri Léonard
A. Bibliographie.
1. Les Braves Montois de 1830 ou les amours de Jean et
d'Agathe à la faveur de la
Révolution. Récit prétexte à d'émouvantes illustrations, par Henri Léonard. Ouvrage honoré d'une préface de M. Émile Hublard,
Docteur en Sciences, Conservateur
de la Bibliothèque Publique et des Musées de la Ville de Mons. 55 pp.
Nombreuses illustrations hors texte et dans le texte. 50 exemplaires de luxe,
950 exemplaires numérotés. Librairie Leich, éditeur, à Mons, rue Rogier, 1930.
2. Les dessins de la Collection du Chanoine Edmond
Puissant. Br. 24 pp. Illustrations.
Mons, 1954. (Catalogue de l'exposition de Trésors d'Art et d'Histoire inconnus
des Musées de la Ville de Mons. 16 avril-19 septembre 1954).
3. Les Chemins de l'Honnête Conscience. Jacques Dubrœucq,
Sculpteur des Vertus. Publié dans les colonnes du journal La Province, à
Mons. (Début : le Ier
mars 1957).
4. Vincent Van Gogh et le Borinage (manuscrit).
5. L'œuvre picturale de Vincent Van Gogh (manuscrit).
6. Esthétique (cours
manuscrit).
7. Histoire de l'Art (cours manuscrit).
B. Quelques ouvrages illustrés par Henri Léonard.
1. Émile Hublard,
Mons jadis et aujourd'hui. Pour
mieux connaître et aimer la
Terre Natale. Nombreuses
illustrations de Henri Léonard. 207 pp. C. Leich, éditeur, Mons, 1926.
2. Émile Hublard, À Mons - Choses et Autres. Illustrations de Henri Léonard, 168 pp. Librairie Camille Leich, éditeur,
Mons, 1928.
3. Giornino [G. Jouret], Broutilles
historiques. Illustrations
de Henri Léonard. 174 pp. Librairie Leich, éditeur, 18, rue
Rogier, Mons (s. d.).
4. Le Roi Peste. Histoire contenant une allégorie, par Edgar Poe
(Traduction de
Charles Baudelaire). Format 0,325 x
0,25 ; 60 pp. en caractères
manuscrits, 39 grandes illustrations dont 5 en pleine page, « dues à la plume
de l'humoriste fantastique Henri Léonard ». Tiré à 46 exemplaires. C. Leich,
éditeur, rue Rogier, Mons, 1931.
5. Jules Blasse,
Chez Mademoiselle Rose... pendant
la guerre. Préface de Clovis Piérard.
Dessins de Henri Léonard. In-40, 67 pp. Éditions du journal La
Province, Mons, 1932.
6. Clovis Piérard,
Paul Heupgen « Chasseur de
Viéseries ». Vignettes
de Henri
Léonard. 134 pp. Éditions de la « Maison Jean Lescarts », Mons, et Éditions
Labor, Bruxelles, 1951.
7. Clovis Piérard,
Étoiles Filantes. Contes pour
enfants. Illustrations en couleurs de Henri Léonard (à paraître).
C. Œuvres
graphiques.
Lors de l'assemblée générale, de la « Maison Jean
Lescarts » (Musée de la Vie Montoise), le 16 mai 1938, les administrateurs de
cette institution tinrent à offrir un souvenir à Henri Léonard pour le
remercier du concours généreux de son talent de dessinateur et organisèrent,
jusqu'au 24 mai, une exposition d'une partie de ses œuvres graphiques. Outre
celles citées plus haut, on pouvait y admirer :
a) Adresse au Bourgmestre Jean Lescarts, lui offerte par
la Conférence des Bourgmestres de l'arrondissement de Mons. Frontispice.
b) Adresse des employés communaux à M. Léon Save,
Échevin.
c) Livre d'Or de l'inauguration du Monument aux Morts de
l'École Moyenne de l'État pour garçons, à Mons.
d) Adresse des collaborateurs du journal « La Province »
à M. Fulgence Masson,
Ministre d'État, lors du XXV* anniversaire de la fondation de ce quotidien, le 1er mars
1932.
e) Adresse à M. Bosquet, ancien directeur de l'École
Industrielle Supérieure.
f) Adresse
(album-souvenir) offerte à M. Quenon, de Frameries, par les « Jeunes gens
Fanfare ».
g) Adresse de la Ville de Mons à Carlo Delcroix.
h) Affiches : Ducasse de Messines ; ducasse de Mons ;
id., descente de la rue des Clercs.
i) Dessins : ex-libris, billets de Rois, menus de ducasse.
Un ropieur au guersillon ; la garde civique en 1914 ;
la prise de la Porte de Nimy ; l'allumeur de réverbères ; les caves de la
Maison Papin-Dupont ; les premiers Montois (trois dessins aquarelles).
j) Estampe de la « Vie Wallonne ».
k) Tableau
: St Georges vainqueur.
l) Illustrations de : boîtes de bablutes (Musée Montois et Maison
Ducardon) ; boîtes de
macarons (Maison Vanolande).
D. Estampes.
Pour la «
Maison Jean Lescarts », Henri Léonard exécuta gracieusement une série de quatre
estampes (largeur : 735 mm ; hauteur 550 mm) tirées chacune à 200 exemplaires.
Voici une brève description de ces estampes qui, outre leurs qualités
artistiques, ont une réelle valeur archéologique, historique et documentaire :
1. Combat d'Epinlieu, le 20 août 1572, lors du siège de
Mons par le duc d'Albe .
2. Siège de Mons par Louis XIV (mars-avril 1691).
3. Siège de Mons du 6 septembre au 23 octobre 1709. Après
la bataille de Malplaquet,
le 11 septembre 1709, les alliés achèvent l'investissement de la ville de Mons,
commencé le 6 du même mois. La place est relativement mal défendue par les
Français, trop peu nombreux.
4. Siège de Mons par les armées françaises de Louis XV, commandées
par le prince
de Conti (6 juin-n juillet 1746). L'artiste a représenté un épisode de la
journée du 16 juin : l'attaque du moulin St Pierre (au second plan) en même
temps qu'ont lieu des préparatifs d'artillerie (au premier plan). Le fond est
la reconstitution de la ville, vue du sud, d'après les plans de l'époque et les
sources historiques.
E. Adaptations radiophoniques.
1. L'homme au cheval gris (d'après Theodor Storm), 1947.
2. La petite marchande d'allumettes (d'après le conte d'Andersen).
3. Le puits et la pendule (d'après Edgar Poe).
4. Lady Madeleine (d'après La chute de la Maison Usher d'Edgar Poe).
F. Jeux radiophoniques (depuis 1947).
1. Notre belle dame Jaque (au temps de Jacqueline de Bavière).
2. Ville gagnée (Épisode
de la « surprise » de Mons par Louis de Nassau).
3. Les chemins de l'honnête conscience.
4. Sous les feux ardents du Roi Soleil (Prise de Mons par Louis XIV, en 1691).
5. Malbrough s'en va-t-en guerre (Récit romancé de la bataille de Malplaquet) .
6. Les dentelles de la guerre (Prise de Mons, en 1746, par Louis XV).
7. Le Prince Charmant (Charles-Joseph de Ligne). Écrit en 1950.
8. La Reine des Cœurs (Vie romancée de Louise de Stolberg).
9. La bataille de Jemmappes, 1792.
10. À Mons, fin d'un Empire (1811-1815).
11. Les braves Montois de 1830.
12. Les blancs-becs. Images historiques (d'après les
études d'André Dufrane).
13. La nuit de Saint-André.
Divers.
Henri Léonard, nous l'avons écrit plus haut, est
l'auteur d'un Essai de reconstitution, en vue perspective, de la Ville de
Mons en 1550 (24 planches et textes à l'appui).
Il créa
des costumes pour la « Procession du Car d'Or », à Mons, et exécuta de
nombreux décors de théâtre ; en outre, il orna de sujets folkloriques deux
objets en faïence dont l'édition eut un succès très mérité : l'assiette « au
Lumeçon » et le « rossignol de la ducasse de Messines ».
Bibliographie :
- Piérard (Clovis), Henri Léonard, imagier et chroniqueur (1896-1959), dans Annales du Cercle archéologique de Mons, t. 64, pp. 41-55.