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vendredi 1 juillet 2022

Léon Losseau et « Une Saison en enfer » d'Arthur Rimbaud

 

 


Histoire de la découverte
par Léon Losseau
des exemplaires perdus
de l'édition d'Une Saison en enfer

 
Si vous souhaitez reproduire tout ou partie de cet article,
merci de ne pas oublier d'en citer la source :
Mons en livres et en images : http://monsenlivresetenimages.blogspot.com/

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RIMBAUD (Arthur).

Une Saison en enfer.

Bruxelles, Alliance Typographique (M.-J. Poot et Compagnie), 1873.

 

 


In-12 broché, 53 p., quelques rousseurs éparses à la couverture et à la tranche, édition originale.

 

    Christian Galantaris décrit ainsi cette célèbre édition : « couverture imprimée en noir et rouge tient lieu de titre. Le texte commence ex abrupto à la page une. Tout au long, dix-sept pages sont restées blanches, soit par le fait d'une censure de l'auteur ou extérieure du dernier moment soit à cause d'une erreur d'imposition ou pour toute autre raison non encore éclaircie. » Et il ajoute à propos de son exemplaire : « broché, tel qu'il convient de posséder cette immatérielle plaquette. »

   Afin de mieux faire connaître l'histoire de ce livre, il nous semble utile de reproduire ci-dessous le texte dans lequel « l'inventeur – au sens archéologique du terme – de l'œuvre de Rimbaud décrit les circonstances de sa découverte et le contexte dans lequel elle se déroula. Ce texte fut publié à Bruxelles, en 1916, dans l'Annuaire de 1915 de la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique puis, à Mons, en 1919, dans le septième fascicule du premier Bulletin de la Société des Bibliophiles Belges séant à Mons (pp. 311-323).

 

 

La légende de la destruction par Rimbaud de l'édition princeps de
« Une Saison en Enfer ».

Communication faite par M. Léon Losseau
à la séance de la Société des Bibliophiles
du 12 juillet 1914.
 
 


   À la fin de la séance que la Société à tenue chez moi le 24 novembre 1912, je me suis fait un plaisir d'offrir, à titre de souvenir de la réunion, à chacun de nos confrères présents, une petite plaquette d'aspect très modeste, en me bornant à dire qu'elle était d'une grande rareté.
   Du format 175 x 125, elle a 53 pages paginées ; dont sept feuillets sont blancs au recto et au verso et dont trois autres au verso seulement – restent 57 moins 17 soit 36 pages imprimées –, sans titre, ni faux-titre, ni table. La couverture en papier blanc légèrement plus fort que celui de l'intérieur, porte, dans un cadre en filets maigres, le titre, le prix et l'adresse de l'imprimeur.
   Cadre et titre en noir, sauf les mots « Une Saison en Enfer » qui sont en rouge.
   L'œuvre est datée in fine avril-août, 1873.
   C'est l'édition princeps du seul recueil qu'ait publié Arthur Rimbaud, le jeune ami de Verlaine.
   À l'exception de six exemplaires, tous connus, et que se disputent les plus célèbres d'entre les bibliophiles, l'édition était réputée avoir été détruite par l'auteur aussitôt après sa sortie de presse.
   Et la légende était admise par tous sans discussion.
   Mais au lendemain de la distribution que je vous ai faite, un littérateur montois, à qui j'avais demandé de garder le silence jusque là, Polydore Flandre, – c'est un pseudonyme – dans la biographie imaginaire qu'il donnait comme préface à la traduction par M. Arthur Cantillon de poèmes imaginaires d'un poète imaginaire – John Littlebird – écrivit :

   « Quoiqu'il en soit, avant de mourir, il (Littlebird) brûla la plupart des exemplaires de son livre. On a voulu, à cet égard, le comparer à Rimbaud, mais celui-ci n'a point détruit sa Saison en Enfer, bien que M. Paterne Berrichon le prétende »

   Et il adressa, en soulignant le passage, un exemplaire de la brochure à M. Paterne Berrichon, qui est le beau-frère de Rimbaud – beau-frère posthume, pourrions-nous dire puisqu'il n'a épousé la plus jeune sœur du poète que plusieurs années après la mort de celui– et qui s'est fait de Rimbaud le biographe, l'éditeur, l'interprète et le commentateur, le tout avec une grande ferveur, une piété touchante et des sentiments d'exclusive admiration.
   Grand émoi de M. Paterne Berrichon. Vite avisé que Mons est la cité du père du comte de Fortsas, que l'on y aime les supercheries, qu'on les y cultive encore, témoin John Littlebird, il s'imagina que la phrase qu'on lui communiquait était une nouvelle supercherie montoise. Il s'indigna de voir Polydore Flandre contester son affirmation de la destruction de l'édition, protesta avec véhémence et la maintint tout entière. Polydore Flandre lui répondit en affirmant la possession par un bibliophile montois de plus de quatre cents exemplaires de la plaquette. M. Berrichon ne voulut pas se rendre. Après la supercherie, il crut à une fraude, à une réédition de contrefaçon, mais la comparaison qu'il put faire de l'exemplaire que lui adressa Polydore Flandre avec l'un des six exemplaires que l'on croyait seuls sauvés lui imposa aussi d'abandonner cette idée. Il en chercha d'autres, ne voulant pas renoncer à sa version de l'autodafé et après sept mois de correspondances, d'affirmations et de vérifications, dans une lettre au Figaro publiée dans le n° du 27 juin 1914, il parle encore des exemplaires « soi-disant retrouvés à Mons » et du « geste de Rimbaud en 1873 ».
   Entretemps M. Paterne Berrichon avait beaucoup parlé. Arrivée aux oreilles des journalistes, l'aventure a fait le tour de la presse. Chacun l'a narrée à sa façon et sur un fond de vérité, a brodé une jolie histoire.
   L'un de nos plus éminents concitoyens, avec le charme qu'il donne à sa parole et à tout ce qu'il écrit, l'a racontée dans le journal qu'il inspire.
   Vous avez lu ces articles.
   C'est ce qui me paraît m'autoriser à vous reparler de la brochure et à vous donner aujourd'hui des détails que je n'avais pas cru pouvoir vous donner en novembre 1912.

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   Rimbaud, le poète du fameux sonnet des voyelles, avait, à seize ans, écrit ses plus beaux vers ; à dix-neuf, au lendemain presque de l'impression de la Saison en Enfer, son œuvre est terminée, il disparaît pour la littérature ; de dix-neuf à trente-sept ans, il voyage ou vagabonde, finit par faire le commerce des armes chez Ménélik et revient en Europe, à Marseille, d'où l'on ne peut le transporter dans sa famille, et y meurt à l'hôpital. Rimbaud a des admirateurs fervents. Certains estiment que son influence fut considérable, M. Paterne Berrichon le tient pour la « Jeanne d'Arc » de la littérature française moderne.
   « Jeanne d'Arc » est joli pour parler de l'ami de Verlaine, de la victime des coups de pistolet qui valurent à Verlaine une condamnation à deux ans de prison et sa détention à la prison de Mons.
   Sa psychologie suscite les plus curieuses études, les plus passionnées. Il y a un « problème Rimbaud ». Son adieu à la littérature à dix-neuf ans, son adieu brusque, absolu, sans rémission, tourmente ses fidèles, inquiète ses interprètes. C'est sur le sens à lui donner qu'ils discutent, qu'ils se disputent, qu'ils échangent des mots mal sonnants même.
   Aussi tout est-il d'importance qui s'y rapporte.
   Et surtout la destruction au lendemain même de l'impression, de la seule œuvre qu'il ait fait imprimer.

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   C'est Darzens, préfacier du Reliquaire, en 1891, peu de temps après la mort du poète, qui, le premier, constatant qu'il ne reste que peu d'exemplaires de la Saison en Enfer, – il n'en cite que trois, le sien, celui de Richepin et celui de Verlaine – en conclut à la destruction par Rimbaud « de la majeure partie des exemplaires ».
   Six ans après, M. Paterne Berrichon reprend la conclusion, en fait une affirmation et raconte avec détails l'histoire de l'autodafé.
   Il faut vous lire son récit :

   « Une Saison en Enfer terminée, il envoya le manuscrit aux éditeurs Poot et Cie. Ensuite, il se rendit à plusieurs reprises dans la capitale belge – ce qui prouverait qu'il n'en avait pas été expulsé au moment du procès – pour, sans nul doute, y surveiller l'impression de son livre. C'est croyons-nous, lors d'un de ces voyages qu'il fit porter à Verlaine, détenu aux Petits Carmes, l'exemplaire possédé actuellement par M. Louis Barthou.
   « Aussitôt l'édition confectionnée, Rimbaud, ne voulant pas apparemment qu'elle fut mise en vente, la rapporta tout entière à Roche. Quelques jours après, il fit parvenir à son ami J.-L. Forain un lot de trois ou quatre exemplaires, destinés – nous écrit M. Jean Richepin – à Ponchon, Forain, un autre et lui, Richepin. Puis il partit pour Paris. C'était vers la fin d'octobre de cette année 1873.
   « Alfred Poussin, le poète des Versiculets, nous a dit l'avoir rencontré le 1er novembre près de l'Odéon, au café Tabourey, fréquenté presqu'exclusivement par les littérateurs. L'ayant vu à l'écart de tout le monde et assis devant une table non servie ; l'auteur de La jument morte, arrivé récemment de sa province avec le désir de se créer des relations dans le monde des lettres, lui offrit à boire, pour la seule raison que le garçon servant avait, non sans dédain, désigné le solitaire comme un poète. Rimbaud était pâle et, de même qu'à l'ordinaire, muet. Son attitude, ainsi que son visage, décelait quelque chose de virilement amer et de redoutable, qui impressionnait. Il ne répondit pas aux propos amènes de son amphitryon imprévu – et Poussin, le reste de sa vie, devait garder de cette rencontre un souvenir d'effroi. Cependant, à côté, les autres consommateurs causaient de Rimbaud entre haut et bas, sinistrement et avec une bêtise lâche.
   « À la fermeture du café – aube du Jour des Morts – le calomnié reprit à grandes enjambées le chemin des Ardennes.
   « Arrivé à Roche, il jeta au feu le tas presque intact des exemplaires d'Une Saison en Enfer. Il brûla, en même temps, tout ce qui de ses manuscrits antérieurs se trouvait à la maison.
   « Et c'est ainsi qu'en pleine adolescence, ses dix-neuf ans venait de sonner, Arthur Rimbaud consomma la « trahison au monde » de son verbe miraculeux.
   « Le poète se naufrageait lui-même. Mais les épreuves de son embarcation, recueillies, sont à présent des phares. »

   Comme vous l'avez remarqué, ce récit se borne à des suppositions : « sans nul doute » « croyons-nous » « apparemment » et à de simples affirmations. Et lorsqu'on sait que M. Paterne Berrichon ne parle pas de science personnelle, on est en droit de lui demander ses sources. Or, quand il dit : « Arrivé à Roche, il jeta au feu le tas presque intact des exemplaires d'Une Saison en Enfer », il se base sur le témoignage de la famille de Rimbaud.
   « En 1873, m'écrivait-il récemment, la famille de Rimbaud a vu dans la chambre du poète des exemplaires en assez grand nombre, empilés sur la table et répandus un peu partout. Elle a constaté ensuite la disparition de ces exemplaires coïncidant avec un autodafé de papiers. »
   La famille de Rimbaud, c'est la seule survivante, sa sœur cadette, celle que M. Berrichon a épousée. C'est elle seule qui aujourd'hui, pourrait affirmer qu'elle a « vu ». Et à cette époque, elle n'avait que dix ans.
Son témoignage, c'est le récit, vingt-cinq ans après – la première édition de la biographie de M. Paterne Berrichon date de 1897 – non pas même de ce qu'elle a « vu », mais de ce qui s'est passé en dehors de sa présence lorsqu'elle avait dix ans.
   Quelque respect que nous ayons pour la sincérité de son souvenir, il me semble qu'il est permis de n'en retenir les détails qu'avec beaucoup de circonspection. Qu'il suffise pour établir qu'à son retour à Roche, Rimbaud ait brûlé des papiers, des documents, je le concède, mais il ne peut me suffire pour établir plus, non seulement la nature, mais la quantité de ce qui a été brûlé, lorsqu'elle avait dix ans, alors qu'elle ne dit même pas qu'elle a vu brûler. Après un autodafé de papier, la famille n'a plus revu les exemplaires que Rimbaud possédait de Une Saison en Enfer. C'est tout ce que dit le témoignage.
   Si je discute le témoignage de la sœur de Rimbaud, je ne songe en aucune manière, je le répète, à mettre en doute son absolue sincérité, mais je pense être autorisé à le peser et fondé à critiquer ce que l'on cherche à en tirer.
   Pour affirmer la destruction, on n'a que ce fragile témoignage qui est déjà un témoignage indirect.
   Tout le reste est de seconde main, soit qu'il se base sur ce témoignage, soit qu'il se tire de la seule existence jusqu'alors connue de trois exemplaires (Darzens), quatre (Maurras), six (Berrichon).
   Et il est à remarquer que Verlaine qui, en 1883, a révélé Rimbaud, s'est fait son premier biographe dans les Poètes Maudits, qui a recherché les œuvres de Rimbaud, et en 1883, en 1886 et en 1892, en a publié des fragments, fragments qu'il a ensuite rassemblés en 1895 sous le titre de Poésies complètes, Verlaine, qui cependant devait être renseigné et eût pu se renseigner, n'a pas fait la moindre allusion à la destruction de l'édition de la Saison en Enfer, il se borne à dire qu'« elle sombra corps et biens dans un oubli monstrueux, l'auteur ne l'ayant pas lancée du tout. »
   Que l'on est loin du geste de la destruction, du « il jeta au feu le tas presque intact des exemplaires d'Une Saison en Enfer » de M. Berrichon.
   Et cependant, depuis la première biographie de M. Paterne Berrichon, tous ceux qui se sont occupés de Rimbaud ont admis son récit sans le discuter, même André Baunier, dans son excellent article de la Revue de Paris, même un littérateur, qui double un brillant procureur de la République, et qui dans ses écrits sur Rimbaud fait montre d'un esprit critique très aiguisé, M. Marcel Coulon.
   Dans les Marges d'août 1913, M. Marcel Coulon commence sa critique de la nouvelle édition de Rimbaud que venait de donner M. Berrichon, par cette affirmation : « on sait que l'œuvre de Rimbaud nous est parvenue contre sa volonté formelle. Qu'il n'a rien publié (hormis deux poèmes) que Une Saison en Enfer, dont il détruira l'édition sitôt parue : octobre 1873 ».
   Et dans le Mercure de France du 16 novembre 1913, il dit encore :

   « Pendant que Verlaine entame les deux ans de détention que son acte lui vaudra, Rimbaud, expulsé de Belgique, revient à Roche, près Vouziers berceau de sa famille maternelle et prépare l'édition d'Une Saison en Enfer. Elle paraît en octobre à Bruxelles. Il la jette immédiatement au feu. La littérature ne la reverra plus. »

   En face de cette version et pour la contredire, se dresse la trouvaille que je fis un jour et je vous demande de vous la conter.

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   C'était en 1901.
   Je recherchais un tirage à part de la Belgique judiciaire, recueil qui, pendant soixante ans, fut imprimé à Bruxelles, par une association ouvrière dissoute depuis, l'« Alliance typographique ». Et dans l'espoir d'en dénicher un exemplaire, le gérant, M. Deghislage, et moi, nous remuions le magazin de l'atelier.
   Vous comprendrez quelle fut l'émotion que ressentit le bibliophile lorsqu'il vit ce que contenait un ballot sali, maculé, couvert de poussières que parmi d'autres il venait de soulever :
   Des centaines d'exemplaires de la Saison en Enfer de Rimbaud !
   J'avais lu l'article de Maurras dans la Revue encyclopédique et j'en avais retenu combien étaient rares les exemplaires connus de l'édition de Bruxelles du recueil.
   Le gérant, qui était déjà ouvrier dans l'atelier en 1873, me dit se souvenir que l'auteur ayant dû quitter la Belgique à l'époque de l'impression, n'avait jamais payé sa note et qu'on avait gardé le ballot.
   Je lui proposai de l'acquérir et il me fit un prix que j'acceptai.
   Non sans avoir auparavant, pour m'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une réimpression en contrefaçon, fait reprendre le grand livre de l'atelier et constaté que le renseignement relatif au non paiement par l'auteur était exact. La possession était donc légitime. Je constatai en même temps que le ballot, intact, contenait le nombre d'exemplaires portés au livre comme ayant été imprimés.
   Un certain nombre d'exemplaires détériorés par l'eau qui avait percé le tout furent jetés dans le grand poêle de l'atelier et je me fis expédier les 425 exemplaires.

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   L'édition de Une Saison en Enfer n'a donc pas été détruite par Rimbaud. Elle ne lui a pas été livrée parce qu'il n'a pas payé son imprimeur et celui-ci l'a conservée.
   L'histoire est prosaïque.
   Rimbaud n'a donc reçu de son imprimeur que quelques exemplaires, les six souvent, dix ou douze exceptionnellement, qu'il est d'usage chez les imprimeurs d'envoyer à l'auteur sitôt qu'il y a des exemplaires prêts.
   Ce sont les exemplaires qu'il a distribués. On en connaît six.
   Si Rimbaud a détruit des exemplaires et cela reste fort problématique, ce ne peut donc être que ceux en bien petit nombre qu'il avait reçu de son imprimeur, en outre de ces six qu'il est certain qu'il a distribués.
   Aux biographes, aux commentateurs de Rimbaud, à ceux qui étudient « le problème de Rimbaud » de tirer de ces faits les déductions, les conclusions qu'ils estimeront. Je leur laisse à le faire.
   Mais ce dont il est impossible d'encore parler, ainsi que le fait cependant M. Paterne Berrichon dans sa lettre au Figaro du 27 juin, c'est d'un geste de Rimbaud marquant sa volonté de détruire l'édition.

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   Des six exemplaires connus avant ma trouvaille, quatre sont ceux qu'au dire d'une lettre de Jean Richepin à M. Paterne Berrichon, Rimbaud adressa à Forain, à Ponchon, à Richepin et à un quatrième.
   Ponchon et Richepin ont conservé les leurs et les gardent jalousement.
   Celui de Forain est passé à Darzens lequel l'a cédé à M. Saffrey, le célèbre collectionneur d'œuvres de Rops.
Le quatrième est celui que possède actuellement Gineste.
   Un cinquième exemplaire appartenait à Pierre Dauze et figurait dans la vente récente de sa bibliothèque. Il y a atteint, au dire des journaux, le prix de 480 fr. plus les frais. Pierre Dauze, à ce que l'on m'a dit, racontait avoir acquis son exemplaire à Toulouse, dans une boîte à deux sous. Ce peut être vrai, mais Pierre Dauze ne passait pas pour renseigner exactement sur l'origine des joyaux de sa bibliothèque.
   Enfin, le sixième exemplaire, le plus célèbre, est celui qui fait la joie de M. Barthou. Le nom A. Rimbaud de la couverture en est assez grossièrement gratté au canif. Et au verso de la couverture, d'une très petite et très fine écriture à l'encre, une dédicace : À Paul Verlaine, et la signature A. Rimbaud. C'est l'exemplaire de Verlaine et c'est sur lui que furent faites la réimpression de la Vogue en 1886 et les réimpressions successives, notamment toutes celles de M. Berrichon.

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   C'est dans le but de vous offrir des exemplaires de cette rareté bibliophilique la première fois que vous viendriez tenir une séance chez moi, que j'achetai la « Saison en Enfer ».
   Le « tour de rôle » me fit malheureusement attendre près de douze ans.
   Entretemps, j'avais remis des exemplaires à quelques amis intimes et sur la demande qui m'en a été faite, j'en remis en outre quatre destinés à Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Viellé-Griffin et Stefan Zweig – par suite d'une erreur, l'exemplaire destiné à Maurice Maeterlinck ne lui a pas été remis – puis un nouveau destiné à un autre littérateur, mon confrère et ami François André.

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   J'avais demandé à ceux que j'avais mis au courant de ma trouvaille de ne pas la publier avant la distribution que je me proposais de vous faire.
   Je désirais du reste ne pas l'ébruiter ne voulant pas faire de la peine aux heureux possesseurs des fameux six exemplaires et ne voulant pas par mon fait influer sur le cours de ces exemplaires.
   Mais le révélation de Polydore Flandre a mis en émoi, non seulement M. Paterne Berrichon, mais les bibliophiles qui avaient acquis à lourds deniers sonnants certains des six précieux exemplaires.
   Dans sa correspondance avec Polydore Flandre, M. Paterne Berrichon lui dit un jour que l'un d'eux désirait vivement me voir détruire les exemplaires que je possédais. Et peu de temps après, M. Paterne Berrichon ayant appris que j'étais à Paris, y vint me rendre visite et me demanda de me laisser conduire chez ce bibliophile.
   Tous deux cherchèrent à me convaincre qu'il fallait détruire, continuer le geste de Rimbaud, disait M. Berrichon, empêcher que le joyau du bibliophile cessât d'être un joyau, disait le bibliophile. Je réservai ma réponse jusqu'au jour où j'aurais consulté mes amis bibliophiles belges.
   Que faut-il faire ?
   Détruire,
   Distribuer largement,
   Conserver et ne plus distribuer.
   Me permettez-vous, mes chers confrères, de vous demander votre avis ?

 



 

Bibliographie :
   -
Losseau (Léon), La légende de la destruction par Rimbaud de l'édition princeps de « Une Saison en enfer ».
   - Carteret (Léopold), Le Trésor du bibliophile romantique et moderne, tome II, p. 271.
   - Galantaris (Christian), Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, catalogue raisonné d'une collection, n° 220.

 

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